Depuis le début de l’année, le dollar a perdu de sa superbe face aux principales devises développées, avec des reculs marqués face à l’euro et au franc suisse. Une baisse d’autant plus notable que les fondamentaux monétaires, en particulier les niveaux de taux d’intérêt et de croissance, plaideraient normalement pour un maintien de sa solidité. Ce paradoxe met en lumière un changement de perception plus profond de la part des investisseurs internationaux à l’égard de la devise américaine et, par extension, des actifs qui y sont libellés. Le recul du billet vert au premier semestre 2025 représente sa plus forte baisse sur cette période depuis plus de cinquante ans. L’indice DXY, qui suit la performance du dollar contre un panier de devises majeures, a perdu près de 11%. Cette baisse a été particulièrement marquée face à l’euro (-13,7%) et au franc suisse (-12,6%). Les devises émergentes, elles aussi, ont rebondi, affichant certains de leurs meilleurs gains de la décennie. 

Ce glissement du dollar s’est accompagné d’un phénomène inhabituel : la rupture du lien historique entre le billet vert et la dette souveraine américaine. Jusqu’ici, les épisodes de turbulence déclenchaient un afflux vers les bons du Trésor et vers la devise américaine, ce qui faisait mécaniquement baisser les taux et monter le dollar. Désormais, la dynamique s’est inversée. Depuis les annonces protectionnistes tonitruantes de l’administration Trump, les rendements obligataires ont progressé tandis que le dollar, lui, se dépréciait. Ce renversement suggère une remise en cause de son statut d’actif refuge. 

Cette désaffection s’ancre dans un climat d’incertitude politique généralisée, qui imprègne l’économie américaine depuis le début de l’année. L’accumulation de décisions abruptes, les revirements stratégiques fréquents et une gouvernance plus interventionniste ont entraîné une montée inédite des indicateurs d’incertitude économique et réglementaire. Cette instabilité désormais structurelle freine les décisions d’investissement, retarde les arbitrages stratégiques et pousse les investisseurs à reconsidérer le statut du dollar. Le leadership américain, longtemps perçu comme stable et prévisible, est désormais remis en question. 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître dans un environnement aussi incertain et volatil, les actions américaines ont connu un spectaculaire redressement au deuxième trimestre, portées par le retour en force des grandes valeurs technologiques. Le S&P 500 et le Nasdaq ont enregistré des progressions impressionnantes, retrouvant leurs plus hauts historiques. 

En Europe, les performances sont restées positives mais plus modérées, portées par un environnement macroéconomique en amélioration et une politique monétaire plus accommodante. Le Vieux Continent bénéficie d’une dynamique budgétaire renouvelée, notamment en Allemagne, où l’Etat s’est résolument engagé dans un cycle d’investissements en infrastructures, dans la transition énergétique et dans la défense. Ce nouvel élan budgétaire a ravivé l’intérêt pour les actifs européens et donné un second souffle à l’euro, longtemps perçu comme le symbole d’une discipline monétaire rigide, voire d’une austérité pesante. Cette évolution du récit européen a conduit de nombreux investisseurs à reconsidérer leurs allocations en faveur de la zone euro. 

L’impact de ces mouvements de change sur les actions a été significatif. Si la faiblesse du dollar bénéficie indirectement aux marchés émergents et à certaines matières premières, l’effet reste modéré sur les indices américains, peu dépendants des exportations. En revanche, en Europe, le renforcement de l’euro ne pénalise plus autant les marchés actions qu’autrefois. La 1 corrélation négative entre monnaie forte et performance boursière s’est affaiblie, en particulier dans un environnement de relance domestique. 

Du côté suisse, la vigueur du franc et la contre- performance des poids lourds du secteur pharmaceutique ont pesé sur l’indice SPI. Malgré un tissu économique robuste, la concentration sectorielle constitue un frein temporaire à la performance. 

Sur les marchés obligataires, les dynamiques ont divergé. En Europe, la BCE a poursuivi son cycle d’assouplissement avec deux baisses de taux supplémentaires, ce qui a favorisé un reflux modéré des taux longs. En Suisse, la BNS, confrontée à la vigueur du franc, a ramené son taux directeur à zéro. Aux États-Unis, la Fed est restée en retrait. L’absence de nouvelles baisses de taux, combinée aux annonces budgétaires expansionnistes, a alimenté une tension persistante sur les taux longs, accentuée par un volume d’émissions obligataires en forte hausse. Dans ce contexte, les obligations d’entreprise notées « investment grade » conservent leur attrait, à condition de faire preuve de sélectivité rigoureuse. 

Les marchés des matières premières ont été contrastés. L’or a poursuivi son ascension, atteignant des sommets sous l’effet conjugué de la baisse du dollar et de la recherche de couverture contre l’instabilité politique. Le pétrole, après avoir profité d’un regain de tensions géopolitiques, a terminé le trimestre en baisse, signalant un ajustement des perspectives de demande mondiale. Ces mouvements illustrent la complexité de la lecture actuelle des marchés : un environnement où les tendances se croisent, souvent de manière contre-intuitive. 

À l’entame de ce second semestre, les investisseurs devront composer avec plusieurs points de tension. La question de la reconduction de la trêve commerciale américaine sera déterminante, de même que l’impact de la validation du programme fiscal de l’administration Trump. Les marchés scrutent également les intentions des banques centrales, notamment une potentielle première baisse de taux de la Fed à la rentrée. Enfin, les risques géopolitiques restent omniprésents, qu’il s’agisse du Moyen-Orient ou des tensions persistantes en Europe de l’Est. 

Dans cet environnement mouvant, une gestion réactive, agile et sélective s’impose. La diversification géographique et sectorielle reste clé. La configuration actuelle rappelle que les grands équilibres macroéconomiques sont en pleine recomposition. Ce qui était perçu comme acquis – la suprématie du dollar, la croissance américaine comme moteur universel, l’Europe comme parent pauvre – est en train d’être réévalué. Cette évolution appelle à une lecture plus fine des dynamiques globales et à une gestion active, capable de tirer parti de la volatilité non comme une menace, mais comme un levier d’opportunités.